Soyez fiers!!!
C’est sans prétention, sans chauvinisme et sans mépris que les intellos et les intellectuels se doivent d’être fiers. Non pas de posséder beaucoup de savoir (quoique…), mais simplement de s’associer à un domaine d’activités nobles, salutaires et accessibles à tous, c’est-à-dire les activités intellectuelles.
Mais qu’est-ce qu’un intello?
Le terme « intello » permet « de désigner à la fois tout individu qui s’adonne à des activités principalement intellectuelles, et toute chose qui est liée à des pratiques qui nécessitent de la réflexion, sans connotation.»[1]
Est-ce qu’un intello est un intellectuel? Et bien pas forcément.
Déjà, une première précision s’impose. Le terme « intellectuel » peut parfois désigner des personnes « dont la vie est consacrée aux activités intellectuelles »[13], souvent opposées aux activités dîtes « manuelles ». Bien qu’on puisse condamner cette pratique, l’usage fait souvent loi dans le langage. Néanmoins, les érudits éviteront un tel usage, pour ne pas dire une telle usurpation. De même, on évitera de confondre « intellectuel » et « savant ». Ce dernier, ancien participe présent de savoir, désigne une personne ayant « des connaissances étendues dans divers domaines ou dans une discipline particulière »[14]. Ce qui, on le verra plus loin, est insuffisant pour être qualifié réellement d’intellectuel.[15]
D’abord, le terme « intellectuel » est né à l’époque de l’Affaire Dreyfus, où des juristes, des écrivains, des universitaires prirent publiquement position pour le capitaine Dreyfus.[2] Le plus célèbre étant l’écrivain Émile Zola, qui fut condamné à l’époque à un an de prison pour avoir dénoncé la magouille militaire liée à la condamnation du capitaine.
Un intellectuel, c’est tout d’abord un individu ayant certaines connaissances savantes et une culture suffisante afin d’établir des rapports entre ses connaissances et celles du Monde.[3] Ce faisant, il peut alors, par ses réflexions ou ses découvertes savantes, être en mesure de découvrir des contradictions. Mais ce n’est pas tout.
De plus, une condition essentielle pour être considérée comme un intellectuel, c’est celle de l’engagement dans l’espace public. Il s’agit d’un engagement visant à dévoiler, voire dénoncer, la contradiction observée.
L’impact de cette dénonciation n’est pas un prérequis. Il est vrai que plus l’intellectuel sera notoire, plus son influence sera grande. Et sa notoriété, quant à elle, est issue de ses travaux. On parlera alors d’un « intellectuel notoire », tout simplement. Autrement dit, la notoriété n’est pas une condition, d’autant plus que celle-ci peut venir plus tard.
Revenons maintenant, sur l’engagement, condition fondamentale. En fait, un intellectuel désengagé, ça n’existe tout simplement pas. Selon Sartre, « l’engagement est […] une obligation morale pour celui qui, refusant le confort de l’attitude contemplative ou de la foi, tire les conséquences éthiques et politiques de son être en situation. C’est particulièrement le cas de l’intellectuel et de l’écrivain, qui, parce qu’ils ont le pouvoir de dévoiler le monde, se doivent de s’engager. »[4]
Somme toute, un intellectuel, c’est un intello qui s’engage dans le débat public afin d’influencer les valeurs et l’organisation de la société.
Le devoir de l’intellectuel
Rappelons que les intellectuels ne sont pas infaillibles et beaucoup d’idéologies, dont certaines sont assurément condamnables, sont issues d’intellectuels. En même temps, la croyance qui voudrait qu’on puisse vivre dans un monde sans idéologie est absurde et même dangereuse. À la limite, le pragmatisme[5] peut se présenter comme une doctrine non idéologique, il demeure que cette méthode de résolution des débats philosophiques s’inscrit toujours dans un système de pensée dominant proposant un modèle sociétal : institutions, système de pouvoir, etc.
Le seul choix que nous avons, c’est d’ignorer ou d’accepter l’idéologie présente ou encore la critiquer et la changer.
Pour ce faire, les intellectuels sont souvent les mieux placés pour éclairer notre pensée afin de principalement permettre plus de justice sociale, et ce, dans un monde de plus en plus complexe.
En fait, un intellectuel se fait un devoir d’éclairer son entourage. Une sorte d’obligation de porter secours à autrui, l’intellectuel accepte le devoir de partager ses connaissances avec autrui, encore faut-il qu’il puisse le faire. Néanmoins, la justice sociale est centrale chez les intellectuels, et ce, de Zola à Chomsky en passant par Weil, Rawls, Bourdieu, etc.
Évidemment, les intellectuels ne sont pas un groupe ou une élite fermée. Bien sûr, nous serions portés à dire qu’un tel ou un autre est intellectuel. Il appartient à chacun de vouloir le devenir et de l’incarner. Le premier pas, bien sûr, est déjà de devenir un intello.
L’intello-actif
L’intello-actif est un intello engagé dans des actions politiques ou sociales. Ces actions visent à propager ou à incarner des positions politiques ou sociales de ce dernier. L’intello-actif milite ainsi pour ses idées. Ses actions ne sont pas nécessairement grandioses, mais à la mesure de sa capacité.
Vous aurez compris dès lors qu’un intellectuel est un intello-actif. Mais est-ce qu’un intello-actif est un intellectuel?
Tout est une question de diffusion et d’ancrage. Un intellectuel est lié à un savoir, une connaissance savante qui lui offre une perspective approfondie sur une facette du Monde. Ce savoir demande un travail significatif, notamment parce qu’il est lié à des exigences de qualité et de traditions.
On exigera de l’intellectuel un discours de niveau intellectuel, c’est-à-dire reposant sur des argumentations étoffées et fondées, particulièrement sur des méthodes de travail intellectuel.[6]
On exigera également que l’intellectuel s’inscrive dans une tradition de penseurs afin d’ancrer sa pensée. Cette deuxième exigence est en fait partie de la première. Le travail intellectuel demande de connaître les réflexions antérieures afin de bien ancrer la sienne et d’éviter de réinventer la roue.
Enfin, on exigera qu’il publie ou discours dans l’espace public : manifestations, radio, télévision, internet, livres, etc.
Dans ces conditions, un intello-actif, qui décide de diffuser ses pensées et de prendre des positions éthiques et politiques, est soit un intellectuel, soit un intellectuel en puissance.
Et nul besoin d’être un héros tel que Miguel de Unamuno face à au régime franquiste ou encore un grand intellectuel enseigné dans les universités. Il s’agit simplement de manifester sa pensée à la hauteur de ses moyens.
Et s’il y a de grands intellectuels, il n’y en a pas de petit, simplement des intellectuels en puissance.
L’intello-passif
L’intello-passif est celui qui sait et comprend, mais demeure silencieux. Il ne trouve pas la motivation (manque de courage, paresse, prudence, etc) de prendre position publiquement.
En fait, il en fait le choix. Encore faut-il en être conscient. Or l’intello, lui, en est conscient. En choisissant de ne rien faire, il choisit. Ou encore, ne pas choisir, c’est encore choisir![7]
À ce titre, la posture de l’intello-passif est souvent, malheureusement, une fuite de l’engagement. Sa préférence est de se réfugier dans un rôle d’observateur. S’il lui apparaît le désir d’agir, celui-ci s’essoufflera rapidement. Il est seul avec lui-même, dans son introversion, et il affine ou simplement recycle sa réflexion. Il faut dire que le Monde, dont il saisit de multiples défauts, est un univers pouvant rapidement être épuisant à contempler.
Cette posture n’est pas sans danger pour le principal intéressé. La possibilité qu’il élabore une rhétorique destinée à s’auto-justifier de son inaction est grande. C’est que de choisir donne une l’impression de contrôle, même si ce choix est une position défaitiste, signifiant son impuissance de ne pas pouvoir changer ce qu’il observe.
Pire encore, l’intello-passif peut se laisser rapidement tenter par le cynisme (contemporain). Ce type de cynisme est vicieux et destructif. Plus il sera cynique, plus il se sentira impuissant. Plus, il se sera impuissant plus il sera cynique.[8] Le danger est que tôt ou tard ce cercle vicieux produira de grandes frustrations et désillusions. Sa confiance sera faible ou inexistante envers les organisations, autorités et d’autres aspects de la société.[9]
À ce stade, si la rumination apparaît, le risque de tomber dans un état dépressif est une possibilité réelle qu’il ne faut pas négliger. De plus, ce processus est souvent inconscient par le concerné.
Bien sûr, être intello-passif ne mène pas nécessairement à la dépression, malgré que « parfois la folie […] est la meilleure manière de s’adapter à la réalité.»[10] Ou encore, il peut adhérer à des philosophies, telles que le stoïcisme, qui lui permettront de faire taire les contradictions observées.
Il demeure néanmoins que seulement l’action[11] peut changer l’organisation sociale et dissoudre lesdites contradictions. À l’inverse, l’inaction maintient ou aggrave l’indignité, car il s’agit avant tout de contradiction morale relevant de la justice sociale, celle régulant la dignité de tous. Il revient alors à chacun de défendre ses valeurs ou de faire siennes ces contradictions et de composer avec.
L’intello-hyperactif
L’intello-hyperactif est un intellectuel qui sur-manifeste ses positions au détriment de la qualité de sa réflexion. Si tout le monde peut avoir une opinion sur tout, un intellectuel ne peut avoir un avis sur tout. Le processus de réalisation d’un avis intellectuel demande un travail considérable. Un intellectuel qui se voit tenter de trop exister dans l’espace public, s’exprimant sur presque tous les sujets, finit inévitablement à dire de nombreuses sottises. (Voir Vidéos connexes)
L’intello-collabo ou l’intello-docile
Ce type d’intello s’activera à crédibiliser le pouvoir en place avec des arguments plus ou moins fallacieux dans l’unique but de le protéger, mais surtout afin de protéger ses privilèges qui découlent de ce pouvoir. Il va de soi que cette collaboration n’a rien à voir avec la posture de l’intellectuel. En fait, ce type d’intello est simplement un usurpateur de l’intellectuel puisque ce dernier est engagé avant tout au service de la justice sociale et non de ses intérêts particuliers.
Pire encore, ce mélange des genres amène à confondre l’intellectuel du faux, discréditant ou rendant confuse la réelle et noble signification de cette qualification. En effet, être un intellectuel, c’est un honneur d’un point de vue humaniste. Catégoriser d’intellectuel un individu, c’est de le lié au courage de nombreux penseurs qui, soulignons le, ont été plus souvent qu’autrement condamnés injustement pour leurs dissidences : Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht, Ignacio Ellacuria, Bertrand Russell, etc.[12]
Conclusion
Devenez vous aussi un(e) intellectuel(le)! Et surtout, soyez fier ou fière!
Et si vous vous considérez simplement comme un intello-actif, soyez-en tout aussi fier!
Ajoutons qu’il ne faut surtout pas opposer l’intello au manuel. Ce sont des activités différentes et complémentaires.
Être un intellectuel demande du courage et beaucoup de travail. Ne laissez jamais personne vous intimider ou vous rabaisser parce que vous choisissez de penser et de vous exprimer.
Stéphane Hessel dirait que toute indignation devrait être liée à un engagement. Signer une pétition, c’est bien. La partager en plus, c’est mieux! Il y a une large gradation menant à l’engagement et, ipso facto, à l’action. Le tout visant à améliorer notre Monde.
Aspirer à être un intellectuel, c’est noble, légitime et accessible. Croyez au nivellement vers le haut! Réfléchissez, écrivez, parlez, bref partagez!
Partagez, mais évitez les excès! Le juste milieu n’est pas nécessairement une position située au milieu de deux extrêmes, mais un équilibre entre deux extrêmes fâcheux! (Aristote)
Note: Ce texte partiellement épicène, présence d’un masculin générique désignant tous les genres.
Vidéos connexes
Sartre sur l'intellectuel
Chomsky, les intellectuels et le pouvoir
Intello-hyperactif
L'Affaire Dreyfus
Références
[1] « Intello : Définition simple et facile du dictionnaire », sur www.linternaute.fr (consulté le 17 juin 2021)
[2] « l’Affaire Dreyfus – Karambolage – ARTE » (consulté le 17 juin 2021)
[3] Politproductions, « Jean-Paul SARTRE : l’écrivain, l’intellectuel et le politique (Interview à Radio-Canada) », 2 décembre 2012 (consulté le 17 juin 2021)
[4] Patrick Wagner, « La notion d’intellectuel engagé chez Sartre », Le Portique. Revue de philosophie et de sciences humaines, (ISSN 1283-8594, lire en ligne, consulté le 17 juin 2021)
[5] « WILLIAM JAMES – Le pragmatisme 📏 » (consulté le 17 juin 2021)
[6] L’APPRENTISSAGE DE LA MTI, UNE AFFAIRE DE COMPÉTENCES TRANSVERSALES, R. R. TREMBLAY, Y. PERRIER, PÉDAGOGIE COLLÉGIALE VOL. 20 N O 1 AUTOMNE 2006 https://www.capres.ca/wp-content/uploads/2015/01/Apprentissage-MTI.pdf (consulté le 17 juin 2021)
[7] “Ne pas choisir, en effet, c’est choisir de ne pas choisir.”, L’être et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique, Sartre, 1943 (consulté le 17 juin 2021)
[8] « Médium large | Médium large 2017.02.28 | BaladoQuebec.CA », sur baladoquebec.ca, Psychologie avec Florence Marcil-Denault : La fonction du cynisme (consulté le 17 juin 2021)
[9] « Cynisme (contemporain) », dans Wikipédia, (lire en ligne) (consulté le 17 juin 2021)
[10] « Le suicide – PSYCHOPTIK #2 » (consulté le 17 juin 2021)
[11] « Le cynisme, un mal nécessaire ? | Vidéos | ICI Radio-Canada.ca », sur Radio-Canada (consulté le 19 juin 2021)
[12] « Chomsky, les intellectuels et le pouvoir » (consulté le 19 juin 2021)
[13] Encyclopædia Universalis, « INTELLECTUEL », sur Encyclopædia Universalis (consulté le 8 juillet 2021)
[14] Éditions Larousse, « Définitions : savant – Dictionnaire de français Larousse », sur www.larousse.fr (consulté le 8 juillet 2021)
[15] Ce paragraphe a été ajouté le 7 juillet 2021.