[Texte tiré d’une publication du Le Devoir à l’époque que Julien Cardinal était président du Parti de la réforme proportionnelle-mixte.]
Dans son dernier livre, Réinventer la démocratie, Jean Laliberté nous rappelle ce slogan de mai 1968 selon lequel les citoyens bien instruits et informés ne peuvent se satisfaire uniquement de voter une fois tous les quatre ans. L’auteur invite le lecteur à reconsidérer la démocratie élective pour une démocratie participative.
Sa réflexion part du constat que la démocratie est de plus en plus malade. En effet, les grandes manifestations étudiantes du printemps témoignent de certaines carences de notre vie démocratique. On peut effectivement se demander pourquoi notre système démocratique n’a pas été en mesure d’intégrer dans ses politiques la volonté populaire symbolisée par des manifestations pacifiques de centaines de milliers de citoyens ?
Il existe pourtant bien des instances qui permettent l’expression populaire, telles que les consultations publiques, les états généraux, les pétitions, etc. Cependant, lorsqu’elles ne permettent pas adéquatement à la population de se faire entendre, celle-ci peut exercer son ultime recours pacifique qui est l’occupation de l’espace public, par exemple la rue.
À une époque où les citoyens sont incités à se replier dans leur espace privé, force est de constater que cet ultime recours est loin d’être banal. Pourtant, le gouvernement considère, quant à lui, que ce type d’engagement doit être à la limite toléré, mais sans plus. Pire encore, au lieu de reconnaître cette volonté populaire, le gouvernement Charest tente plutôt de banaliser et même de ridiculiser l’expression de la rue.
En regardant de plus près notre mode de scrutin, on comprend mieux pourquoi le gouvernement actuel peut ignorer les manifestations les plus importantes que le Québec ait connues. En ayant les « deux mains sur le volant », c’est-à-dire en étant majoritaire, le gouvernement a la possibilité ultime d’agir de manière autoritaire et unilatérale.
Ceci est d’autant plus vrai si le gouvernement considère que les électeurs n’ont droit de parole qu’aux élections et qu’ensuite le gouvernement peut tout se permettre. M. Bachand et bien d’autres membres du gouvernement ont d’ailleurs exprimé cette vue en mentionnant que les prochaines élections trancheraient le conflit étudiant. Comme si une soi-disant « majorité silencieuse » et mythique pouvait en toute légitimité cautionner toutes les actions passées du gouvernement en un seul vote. Cette idée reçue selon laquelle la démocratie se réduit à la décision du plus grand nombre est non seulement erronée, elle est aussi antidémocratique. C’est ce que bon nombre de penseurs, dont J. Stuart Mill, appellent la « dictature de la majorité ». Quant à Tocqueville, c’est de « germe de la tyrannie » qu’il qualifie le fait qu’un gouvernement se permette, au nom de sa majorité, de faire taire une minorité.
Bien qu’un gouvernement majoritaire puisse agir unilatéralement, il est de tradition au Québec et au Canada d’exercer le pouvoir à travers des consultations, des concertations et des consensus. En fait, c’est de cette manière que notre démocratie s’exerce réellement. À vrai dire, ces mécanismes sont extrêmement importants puisque le mode de scrutin uninominal à un tour ne permet péniblement la diversité d’opinion. En effet, notre mode de scrutin, bien qu’il soit plutôt simple, a le grand inconvénient d’amener une distorsion de la volonté populaire puisqu’elle permet l’élection de gouvernements majoritaires n’obtenant quasi jamais une majorité des voix. Le Parti libéral, bien que majoritaire en nombre de députés, n’a obtenu que 42 % des voix en 2008.
Un autre inconvénient majeur est qu’il ne pousse pas l’électeur à effectuer un vote de préférence, mais plutôt un vote stratégique. Le vote stratégique est une castration de la volonté de l’électeur. Elle introduit une logique binaire et abrutissante qu’on résume sous l’idée de gagner ou perdre ses élections. Voter se résume alors à parier. Mais est-ce bien ce à quoi on doit s’attendre d’une démocratie ? C’est-à-dire de voter pour un pis-aller détenant une chance signifiante d’être élu, et ce, selon les sondages ? À voter non pas pour un candidat, mais contre tous les autres ? À voter pour contester et non pour proposer ?
D’un côté, le fait de ne pas pouvoir voter librement pour un candidat sans avoir le sentiment de trahir ses convictions ou de voir son vote non considéré à sa pleine valeur démocratique explique en partie les hauts taux d’abstention. D’un autre côté, voter, c’est légitimer le mode de scrutin actuel. C’est ainsi ce que certains soixante-huitards surnommaient le processus électoral de « piège à cons ». Tout est déjà pipé pour l’alternance du pouvoir.
Un mode de scrutin proportionnel-mixte, ou encore le mode P3, comme l’a proposé récemment Stéphane Dion, serait déjà un énorme pas vers une démocratie participative. Mais tant qu’aucune réforme ne sera réalisée, n’en déplaise à ceux qui pensent à tort qu’il est primordial de voter, vous vous ferez encore piéger. Bref, on ne gagne pas des élections, on les subit.